dimanche 19 février 2012

Trop, c'est trop

J’ai décidé de ne plus évoquer la situation de la Grèce avec toute personne qui ne parle pas le grec, n’a jamais vécu en Grèce (en effet, je considère qu’un lâcher de touristes de 2 heures dans les échoppes de Plaka ne permet pas de faire le tour de la question grecque), voire ne sait pas situer la Grèce sur une carte.
Les efforts conjugués de nombreux journalistes français et européens pour instiller la haine des Grecs et de la Grèce chez le téléspectateur ou lecteur moyen ont payé. N’attendez donc aucune empathie de leur part. Quand naïvement, vous tentez d’expliquer les violences de ces derniers mois avec en point d’orgue celles de dimanche dernier par un "Les Grecs ont faim", on vous répond invariablement "Mais ils sont fainéants!"
Je déplore qu’aucune chaîne de télévision n’ait jamais jugé utile d’envoyer de correspondant permanent à Athènes, à l’image d’un Maurice Ollivari à Rome, par exemple, qui en plus de nous présenter des reportages liés à des événements de premier plan, nous fait régulièrement partager des tranches de vie pour nous rendre les Italiens un peu moins étrangers. Quelqu’un qui connaîtrait la Grèce de l’intérieur plutôt que d’être dépêché au dernier moment quand cela chauffe, et qui se mêlerait à la foule plutôt que de filmer ses interventions sur son balcon du Grande-Bretagne (palace local). La Grèce, ce "pays mineur" de l’Union européenne du point de vue de nos grands yeux nombrilistes, se trouve pourtant au cœur de l’actualité depuis plusieurs années et je note qu’aucun journaliste ne semble à la hauteur pour rendre compte aux ignorants assis devant leur petite lucarne de la réalité grecque.  
Quand les esprits s'apaisent au cours d'une discussion forcément très animée et que l'on peut placer quelques informations recueillies sur Skype auprès de ses amis grecs et/ou dans la presse grecque [en pagaille (liste non exhaustive) : Les orphelinats font le plein car les parents n’ont plus de quoi nourrir leurs enfants, 50% des jeunes sont au chômage, 1000 nouveaux chômeurs par jour, la Grèce a désormais le même niveau de vie que la Bulgarie, sur une population comptant moins de 11 millions d'habitants, 6,6 millions de Grecs vivent en-dessous du seuil de pauvreté, un pope a collecté 15 tonnes de vivres pour les distribuer aux nécessiteux (nécessiteux : individu occupant un emploi rémunéré ou non ou étant au chômage, voire à la rue, depuis peu), 40% des SDF travaillent, d’ailleurs, maintenant, même de petites mamies grecques se retrouvent à la rue (c’est un phénomène nouveau en Grèce, personnellement, jusqu’en 2008, je n’avais jamais vu de SDF en Grèce), les premiers immigrants (en majorité des Albanais) quittent le pays, beaucoup de Grecs sont candidats à l’exil ("Je cherche du travail partout, même en Pologne. C’est bien la Pologne à côté de ce qu’est devenue la Grèce… "), "la Grèce a fait un bond en arrière de 40 ans" etc.], on me rétorque "Oui, mais la France envoie beaucoup d’argent à la Grèce" (saint Portefeuille, priez pour nous et infligez les pires châtiments à ces paresseux de Grecs sans cesse montrés du doigt au journal télévisé.) Effectivement, mais à quel prix? L’Union européenne s’emploie à sauver la Grèce, malheureusement, il semble que le remède soit pire que le mal. J’ai parfois l’impression que l’Union européenne joue au petit pont massacreur avec la Grèce. Un territoire entièrement ligué contre un petit pays que personne ne connaît et dont fort peu d'individus parlent la langue, un territoire avec des idées bien arrêtées mais peu enclin à se remettre en question face à l’échec cuisant et patent du sauvetage grec entrepris jusqu’ici. Cela me fera une belle jambe, en tant que Française, d’apprendre un jour que la Grèce a été sauvée, si en contrepartie la population qui n’a pas opté pour l’exil a été décimée par la faim ou le désespoir. Je n’approuve pas l’orientation qui a été choisie pour "sauver" (synonymes : couler, enfoncer, détruire, annihiler, éradiquer, abattre) la Grèce, loin s’en faut. L’Union européenne agit à mes yeux tel un pompier pyromane et les conséquences de cet incendie non maîtrisé sont plus pernicieuses que celles des incendies de dimanche dernier, car n’étant pas spectaculaires, elles passent inaperçues.
L’Union européenne m’a beaucoup apporté: j’ai passé un an à Thessalonique grâce au programme Socrates, je suis ravie de ne plus fréquenter les bureaux de change lorsque je voyage dans l’espace européen, sans compter que dans mon métier de traductrice, la monnaie unique m’ouvre plus de portes et facilite grandement les échanges. Il est indéniable que ma vie, privée ou professionnelle, est indissociable de l’Union européenne et je ne voudrais pour rien au monde revenir en arrière. 
Néanmoins, au vu des souffrances endurées par les Grecs (qui paient un lourd tribut à l'incurie pérenne de leur classe dirigeante), j'éprouve, en tant qu'européenne, un sentiment de honte qui va croissant.
Καλό βράδυ σε όλους

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